La troisième planète
Le huitième article de la Saga sur la thérapie familiale écrit par Roch Du Pasquier
Roch du Pasquier est psychologue clinicien, psychothérapeute et formateur au Copes concernant la pratique de la thérapie systémique. Il écrira un article par mois pour Scope, le blog du Copes, dont celui-ci est le huitième. Le sujet de cette rubrique mettra en lumière la thérapie systémique, tant par son histoire que par ses concepts.
La troisième planète
Le système Trappist-1, avec ses sept exoplanètes, se trouve à 40 années-lumière de la terre. Sur les sept, trois sont potentiellement habitables avec de l’eau liquide en surface et peut-être des formes de vie extraterrestre. Sommes-nous seuls dans l’univers ? s’interrogent à nouveau les astrophysiciens depuis la découverte de ce système. Aujourd’hui, si je vous invite à partir aussi loin, c’est pour la troisième planète. Zut, raté ! Sur le système Trappist-1 la troisième ne fait pas partie des planètes potentiellement habitables. Elle est trop proche de sa naine ultra-froide, il fait trop chaud à sa surface. Remisant mes prétentions de démiurge je vous propose un autre voyage dans l’espace-temps. Allez, juste un petit. Un bond d’une trentaine d’années par rapport aux créateurs de l’école de Palo Alto et un saut au-dessus de l’atlantique pour arriver sur le vieux continent.
Sur notre première planète, dieu fabrique l’homme à son image. Comme lui, il est seul. Lorsqu’il est malade c’est de lui dont on s’occupe. Sur notre deuxième planète, et notre première planète habitable par les extraterrestres de Palo alto, ce n’est plus le sujet qui a un symptôme, ce sont les communications interpersonnelles de la famille qui dysfonctionnent. Sur notre troisième planète, notre deuxième pour les systémiciens, que le thérapeute le veuille ou non, la famille va l’impliquer dans son fonctionnement. Cela fait partie intégrante du mouvement de construction du nouveau système, le système thérapeutique, expliquent Maurizio Andolfi et Claudio Angelo.(1)
La troisième planète est une planète étrange. Contrairement à celle du système Trappist-1 elle est habitée par des hommes et des femmes, des enfants, des jeunes et des vieux qui nous ressemblent en tout points. Et pourtant elle est différente. Elle n’est pas qu’individuelle, elle n’est pas que groupale. Il y a fort longtemps, au moment du Big Bang systémique, l’école de Palo Alto nous avait appris qu’une famille n’était pas que la somme des membres qui la compose. Cette propriété du système familial fut nommée la non-sommativité. Il y avait là quelque chose de complexe qui ne pouvait pas être rendu par les éléments du système considérés séparément. Le système possédait une couleur ou un style à lui, une qualité émergente qui supplantait la somme de ses parties.
Sur la troisième planète, il y a des triangles qui accrochent les individus les uns avec les autres mais aussi les générations entre elles. Il y a des triangles partout !
Par exemple entre une fillette et ses parents; entre la mère de la fillette et ses parents; entre le père, sa soeur et son beau-frère; entre la grand-mère et le grand-père maternels et leur petite-fille… Imaginez si le couple a trois enfants et que chaque parent a douze frères et soeurs comme c’est le cas en général ? La troisième planète croule sous un amoncellement indescriptible de triangles. Les triangles sont composés par l’individu et les autres membres de sa famille. Sur la troisième planète le thérapeute va s’inclure au sein de cette forêt de triangles.
Il va construire de nouveaux triangles avec la famille. Dans cette structure triadique, le troisième élément (la troisième personne) devient inévitablement le porteur des attentes insatisfaites des deux autres, dans la mesure ou il doit remplacer ce qui est venu manquer dans leurs rapport. Sur la troisième planète le thérapeute sera convoqué à une place par la famille. Éviter d’entrer dans ce rôle assigné semble de peu d’utilité thérapeutique tout comme celui d’y entrer sans s’en rendre compte, précisent les auteurs. Dans cette optique, le thérapeute vient constamment se placer à l’un des sommets du triangle.(…) Entrant comme troisième pôle dans différents triangles, il construit au sein du contexte thérapeutique une relation complexe. C’est d’un nouveau regard sur le monde des thérapies familiales qu’il s’agit dans la théorie de l’école de Rome.
-
Système provient du latin systema « assemblage », mais aussi une combinaison ou un groupement. Au XVIIe, en anatomie, le système est un ensemble de parties similaires qui concourent à une activité commune. Cela donnera le système nerveux et de là les expressions : j’ai les nerfs, il me porte sur le système… Dans le système, un fait ou un objet dépend d’un autre par sa fonction.
-
Thérapeutique : l’ensemble des moyens de traitement convenant à un cas particulier. Du grec therapeuticos « qui prend soin de » mais aussi « être le serviteur » et « servir Dieu »(2).
Revenons au texte biblique, pardon, au système thérapeutique : Il peut être plus utile pour le thérapeute de représenter Dieu, si c’est ce que lui demande la famille, plutôt que de se draper derrière sa prétendue neutralité. Si le thérapeute peut s’utiliser comme image de Dieu le temps nécessaire à ce qu’elle devienne une métaphore relationnelle, peut-être pourra-t-il saisir le besoin différent d’être un dieu, respectivement pour A et B. Tout de suite après, l’exigence d’un dieu pourra être liée à l’absence d’un parent important pour A ou d’un guide du couple pour B; de cette façon, développant et amplifiant les significations possibles attribuées à Dieu, on pourra relever les différences et les complémentarités entre les besoins de A et de B(3)…
Cet exemple est emblématique d’une posture thérapeutique qui ose pénétrer dans le système en respectant son fonctionnement. Le thérapeute sait ce qu’il fait à défaut de savoir où il va. Aucune raison d’avoir peur. Il accepte d’occuper la place que le couple lui alloue. Il ne cherche pas à repérer des symptômes et à les organiser en un étiquetage qui viendrait valider la folie de l’autre.
Il y a de l’eau et de la vie sur notre troisième planète contrairement à celle du système Trappist-1. Quelle chance de rencontrer un thérapeute capable d’incarner le Tout-Puissant pour en questionner les métaphores. Quelle chance de découvrir de nouvelles planètes même s’il faudra attendre cinq années, annoncent les astrophysiciens, avant de connaître la composition de leur atmosphère. Cinq ans, rien du tout à l’échelle de la théorie du Big Bang. Cinq ans, de quoi devenir un intervenant qui saura apporter de l’eau aux familles asséchées par leurs conflits et les réponses arides de notre traitement moderne de la folie.
En mai fais ce qu’il te plaît ! Nous le ferons, mais puisque c’est difficile je vous parlerai de résistance au changement.
Roch Du Pasquier
dessins de Romuald Font
1# « Le système thérapeutique : la troisième planète », La création du système thérapeutique, ESF.
2# Dictionnaire Historique de la langue française, sous la direction d’Alain Rey.
3# Le système thérapeutique, ibid.
Pour lire les précédents articles de Roch du Pasquier :
Article #1 - Le début des thérapies familiales systémiques : L’école de Palo Alto
Article #2 - Double bind, double lien ou double contrainte
Article #3 - Recadrage et contre-culture
Article #4 - Connotation positive ou escroquerie ?
Article #5 - Hypothétisation, hypothèse systémique, hypothèse circulaire : la jungle des hypothèses
Article #6 - Position basse, affiliation, inspecteur Columbo
Article #7 - Soutenir les personnes et provoquer le système ?