Bénédicte Chamoun, Un hôpital de jour confine hors les murs
Dans le cadre de l’épidémie de Covid 19 sévissant depuis plusieurs semaines en Europe, l’annonce par le président de la République le 12 mars 2020 du début du confinement, assortie de l’obligation de fermer les établissements scolaires à compter du 16 mars , pour une période initiale de 15 jours renouvelables, a sonné le glas de l’activité de l’hôpital de jour Montsouris telle qu’elle se pratiquait tous les jours. En effet l’accueil des patients dans la structure où ils recevaient des soins en groupe et en individuel, ainsi qu’un enseignement adapté à leur situation n’était plus possible.
Une fois la nécessité de fermer la structure actée par la Direction générale de l’association le 13 mars au matin , et malgré le fait que l’équipe ait été la veille prévenue de cette éventualité lors d’une réunion dédiée, l’annonce de la nouvelle à l’ensemble des patients , soignants et enseignants présents ce jour-là n’en a pas moins représenté un choc, une forme de traumatisme.
Chez les patients on a pu observer une palette de réactions allant de la défense maniaque à l’effondrement dépressif, en passant par le déni.
Dans l’équipe il a fallu rapidement s’organiser en vue d’avoir les éléments nécessaires à la continuité thérapeutique et pédagogique.
L’ensemble des familles ont été informées directement par téléphone par le médecin-directeur et la directrice adjointe, pendant que les référents appelaient tous les patients absents ce jour-là. De même les collègues ne travaillant pas ce jour-là ont-ils été informés par mail ou téléphone.
Chacun est rentré chez lui le cœur lourd, mais néanmoins muni d’un bien précieux, fourni par la secrétaire administrative : la liste des patients avec les téléphones et adresses mail des familles et des adolescents, ainsi que la liste des membres de l’équipe avec leurs coordonnées.
Mise en place de relais en vue d’assurer le maintien du lien thérapeutique et de la continuité pédagogique.
Rapidement les premiers éléments du cadre de suivi à distance des patients et familles de l’HDJ ont été posés :
- Les binômes de référents appelaient leurs patients à tour de rôle, plusieurs fois par semaine
- Les médecins appelaient les familles au moins une fois par semaine
- Les enseignants envoyaient par mail du travail scolaire à leurs élèves, les référents servant de relai facilitateur en cas de difficulté
- Le médecin directeur et la directrice adjointe assuraient à tour de rôle une astreinte téléphonique pour les patients et leurs familles, mais aussi pour les soignants en basculant sur un téléphone portable la ligne de l’HDJ
- Les différents membres de l’équipe soignante communiquaient par mail pour se faire les transmissions.
Puis les choses se sont encore un peu plus structurées avec la mise en place d’outils d’échange et de partage interactifs :
- un tableau créé par la directrice adjointe et l’enseignant d’espagnol et déployé par la secrétaire administrative permettant à chaque intervenant d’inscrire sur un planning hebdomadaire par patient le jour, l’heure et la nature de son intervention, ainsi que quelques phrases de commentaire
- des synthèses rédigées par la secrétaire médicale à partir des échanges de mail, permettant une vision plus large de ce qui se passe pour chacun des patients, et mettant aussi en évidence des perceptions parfois très différentes selon les intervenants, de la même manière qu’en synthèse c’est le rassemblement des éléments de transfert diffracté des patients sur les membres de l’institution qui permet d’en avoir une vision globale.
- Des réunions téléphoniques à plusieurs autour des binômes de référents, incluant médecins, thérapeutes, assistantes sociales, directrice adjointe et secrétaire médicale, recréant en plus petit groupe le dispositif de la synthèse et redonnant aux participants la joie du partage, des retrouvailles en quelque sorte
- Des réunions médico-pédagogiques sur le même principe que celles de l’HDJ permettant de faire le point sur le suivi scolaire des jeunes, les obstacles, le taux de réponses aux mails, de devoirs rendus, les « perdus de vue » , la nécessité de remédiatiser le lien élève - enseignant en passant soit par le médecin, soit par les référents, soit par les parents. Ces réunions ont aussi donné aux enseignants la possibilité d’échanger ensemble autour de leurs outils : cours sous forme de quizz, de liens vidéo, de visio-conférence, etc…
Tout cela a permis que se déploie une clinique nouvelle, inventive, faite de bric et de broc dans un premier temps mais néanmoins soutenue, sous-tendue, nourrie, par l’enveloppe institutionnelle, l’intériorisation par chacun du cadre de soins, permettant de s’aventurer loin de sa base en ayant l’assurance de pouvoir la retrouver et s’y ressourcer.
Peu avant les vacances de printemps et alors que se profile la perspective de l’arrêt des liens téléphoniques et par mails avec les patients et leurs familles pendant une semaine, la question d’une reprise en virtuel de certains groupes thérapeutiques ou de la création de nouveaux groupes est posée par le médecin-directeur à l’ensemble de l’équipe pluridisciplinaires. En effet le constat d’un certain appauvrissement des échanges verbaux avec les adolescents est fait par les soignants. La médiation thérapeutique et groupale manque. Une forme de dévitalisation du lien apparaît.
La proposition du médecin-directeur rencontre une adhésion immédiate et enthousiaste de l’équipe et génère un grand nombre de propositions de groupes, dont des créations, qui feront l’objet d’une discussion en réunion d’équipe élargie.
Groupes conte, philo, parole, textile, yoga, théâtre, geste rythmé, détente et relaxation, poésie, musique, danse-écriture, GOPPS, parents, auxquels s’ajoutent une écoute infirmière quotidienne et des prises en charge individuelles en art plastique.
Nous voilà avec un planning d’activités comme aux plus beaux jours ! Et avec un peu de trac aussi : est-ce que cela va marcher ? Est-ce qu’ils seront là ?
Ils sont là ! Ils répondent présent : 10 au groupe conte, 6 au groupe parole, 3 au yoga, etc…
Ils se retrouvent, ils se voient (ou pas), expriment leur joie d’être là, de « faire groupe », reprennent pour certains la parole là où ils l’avaient laissée, comme si de rien n’était. Cela donne des frissons, une grande émotion.
Oui mais…
Il y en a qui ne sont nulle part, qu’on ne parvient pas à accrocher. Qui disent oui mais ne se connectent pas. Qui ne disent rien. Qu’on a de plus en plus de mal à avoir au téléphone, ou qui sont si désorganisés quand on les a que c’est très inquiétant. Ceux-là, on ne peut pas les soigner à distance, et c’est particulièrement pour eux que se pose la question de la réouverture de l’hôpital de jour et de l’accueil « en chair et en os ».
Principes régissant la nouvelle organisation de l’activité clinique
La nouvelle organisation clinique doit tenir compte à la fois des exigences sanitaires strictes liées à l’épidémie COVID 19 (gestes barrière, masques, distanciation physique) et des besoins identifiés et priorisés des adolescents et des familles suivis à l’HJM.
Ce travail de priorisation se fait au cours des réunions cliniques hebdomadaires réunissant l’ensemble de l’équipe pluridisciplinaire, et s’affine lors des échanges par mail ou par téléphone entre les référents et les médecins au cas par cas.
Nous avons pu mettre en évidence 2 types d’adolescents et de familles pour lesquels les modalités de prise en charge à distance ne suffisent plus, soit à contenir l’angoisse et les mouvements de régression, soit à maintenir un lien thérapeutique.
Dans la première catégorie se trouvent les adolescents dont la pathologie initiale comporte des symptômes délirants ou d’agitation et d’excitation psychomotrice peu compatibles avec la poursuite du confinement. Egalement dans cette catégorie, des jeunes confinés avec leurs parents et frères et sœurs dans des espaces trop étroits pour permettre une certaine intimité lors d’échanges avec leur référents ou de propositions de groupes virtuels.
La deuxième catégorie regroupe les adolescents nouvellement arrivés dans la structure et dont les liens avec les référents et médecins sont encore trop ténus pour pouvoir permettre le maintien d’un investissement à distance de la structure hôpital de jour. Ces adolescents sont à risque « d’être perdus de vue » à moyen terme. C’est donc à ces deux catégories de patients que notre proposition d’accueil va d’abord s’adresser.
Le descriptif qui suit, dans son aspect factuel et froid, donne à voir la mutation nécessaire de la structure d’accueil, réduite au quart de sa capacité pour être « conforme » aux nouvelles normes
Déroulement de la première phase de réouverture de l’activité de l’HJM
- Envoi d’un courrier aux familles des adolescents expliquant les modalités de reprise, les mesures d’hygiène à respecter à partir du domicile jusqu’à l’arrivé de l’ HdJ, puis à l’HdJ.
- Recueil de l’accord des familles pour permettre la venue de leur enfant dans l’institution.(facilitation par la proposition de venir en VSL)
- Accueil d’une partie de l’équipe soignante : total en présentiel 8 professionnels par jour
J1 et J2
- Présentation du nouveau fonctionnement de l’HdJ (nouveau planning du personnel par ½ journée avec horaires modifiés)
- Initiation aux gestes barrières et d’hygiène pluriquotidienne par les infirmiers.
- Attribution d’une salle par professionnel (exception faite du bureau médical partagé par les deux médecins psychiatres) pour des raisons de contenance et de respect de mesures barrières.
- Distribution aux professionnels d’un kit comportant : 2 masques / jour, 1 Flacon de gel hydro alcoolique, Lingettes de désinfection, Trousse bureautique
- Accueil en entretiens familiaux de l’ensemble des familles repérées comme prioritaires. (Familles accueillies par un infirmier qui veillera au nettoyage des mains par SHA et pourvoira en masques.)
Une fois cet accueil réalisé, possibilité de R.V pour des prises en charge individuelles par les référents et les psychothérapeutes.
Cette organisation permettra de limiter au maximum les croisements et interactions entre les différents membres du personnel et les soignés, réduisant ainsi le risque de transmission virale.
Les protocoles d’utilisation de matériels et d’équipement communs seront affichés dans chaque pièce où ces matériels et équipements sont présents.
J3 , J4, J5
Poursuite des entretiens familiaux et accueils pour des entretiens individuels avec leur référent ou leur psychothérapeute de certains adolescents.
Maximum de présences de jeunes sur une ½ journée : 9 patients
Aucun cours ne sera assuré dans les locaux de l’HdJ.
À l’issue des 15 premiers jours, une évaluation sera faite avec comme perspective la possibilité de reprendre certaines activités en tout petits groupes (4 personnes maximum).
Durant toute cette période, le travail à distance initié depuis le début du confinement par l’ensemble de l’équipe pluridisciplinaire incluant les enseignants est amené à se poursuivre. Les professionnels présents dans les locaux de l’ HdJ pourront y pratiquer leurs groupes virtuels.
L’un des enjeux importants de cette période transitoire sera d’éviter que survienne un clivage entre les membres de l’équipe présents dans la structure et ceux qui poursuivront leur travail de chez eux. Une vigilance particulière sera donc apportée à la transmission et à la communication dans l’équipe.
Ainsi les réunions de synthèse et d’équipe ainsi que les RMP se poursuivront sur le mode actuel, par conférences téléphoniques.
Plusieurs aspects importants sinon centraux de la vie institutionnelle dans sa dimension thérapeutique ne pourront pas reprendre dans l’immédiat, et notamment la dimension groupale dans ses différentes déclinaisons dont :
- Groupes thérapeutiques
- Assemblée Générale des adolescents
- Repas thérapeutiques
- Temps d’échanges informels dits « interstitiels » se déployant habituellement dans les salles de jeux et de convivialité
- Réunions de synthèse et d’équipe en présentiel
C’est donc une clinique d’un genre nouveau qui se met en place, un peu aseptisée, un peu froide et très éloignée du bouillonnement habituel de l’HDJ avec ses grands éclats de voix, ses cavalcades dans les escaliers, ses chaleureuses poignées de mains.
À nous d’y insuffler quelque chose de vivant, d’animé.
À nous de faire de cette épreuve une opportunité de déployer autrement notre créativité, avec toujours un seul objectif : le soin à nos adolescents.
Bénédicte Chamoun, médecin-directeur de l’hôpital de jour du parc Montsouris